Lucas a eu une enfance heureuse et on ne peut plus normale dans la campagne normande où ses parents produisaient du cidre, jusqu'à leur séparation. Toujours le nez fourré dans un bouquin, il a eu une scolarité sans accroc, et a obtenu son bac avec un an d'avance. Laissant ses parents se déchirer dans le partage de la pommeraie, il s'est alors installé chez son oncle à Toulouse et s'est lancé dans une prépa d'histoire. Il est vrai que depuis la visite du musée de Bayeux organisé par sa classe de primaire, l'histoire était devenu sa passion : il avait ensuite passé des mois à apprendre l'histoire des ducs de Normandie, et avait pris la résolution de devenir professeur d'histoire. Au bout de trois ans, il réussit à intégrer une grande école parisienne, aux locaux partiellement situés dans la Sorbonne, et se lança dans la recherche en histoire médiévale.

Il était à la bibliothèque, en train de lire un ouvrage passionnant sur la culture des pommes au Moyen-Age lorsque l'événement se produisit. D'un seul coup, tout se mit à tourner, les livres tombèrent des étagères, et il perdit connaissance. Lorsqu'il rouvrit les yeux, la bibliothèque avait disparu : n'en subsistait que le livre auquel il était resté vigoureusement accroché. La Sorbonne aussi. La plupart de tout ce qu'il connaissait dans la ville aussi, à tel point qu'il eut beaucoup de mal à comprendre qu'il était toujours à Paris, mais un peu plus tôt. Ou plus exactement beaucoup plus tôt. Janvier 1788... Comment s'était-il retrouvé là ? D'autant plus qu'il n'était pas tout seul, toute la Sorbonne semblait avoir été propulsée dans le passé.

Le moins que l'ont puisse dire, c'est que l'adaptation ne fut pas facile : ni sa carte bancaire ni les quelques euros que contenait son portefeuille n'avaient aucune utilité, son téléphone et son ordinateur ne trouvaient plus de réseau et n'avaient pas tardé à se décharger définitivement. Son appartement n'existait pas encore. Lui-même ne savait rien faire qui puisse lui être utile, pas même du cidre, ne s'étant jamais intéressé à l'industrie familiale. Il avait beau être étudiant en histoire, son champ de connaissance concernait surtout la Normandie médiévale, et pas vraiment les environs de la révolution français. Alors il fallut qu'il s'adapte. Bien sûr, il passa quelques nuits dehors, mais il réussit à décrocher divers petits boulots lui permettant de payer le loyer d'une petite chambre au Palais-Royal.

A présent, il mène une petite vie stable, avec un toit et presque toujours de quoi manger à sa faim, en essayant de ne pas trop se faire remarquer, car il a bien conscience des dégâts que peuvent faire sur le futur les moindres changements apportés au passé. Mais il est loin, très loin d'être satisfait et d'être disposé à s'installer définitivement au XVIIIème siècle. Il est prêt à tout pour revenir en 2015, ou du moins pour comprendre pourquoi il est arrivé là. Certains jours, cette idée le rend presque fou. Alors sur son temps libre, il recherche les autres, tous ceux qui sont dans le même cas que lui, parce qu'on est toujours plus fort lorsqu'on est plus nombreux. Et il ne s'arrêtera pas avant d'avoir trouvé le moyen d'agir.

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